Manuel Mujica Lainez

Manuel Mujica Lainez

Traducción
 

D’aussi longtemps que je m’en souvienne, Manuel Francisco Yglesias, faisait partie de la galerie Witcomb. J’étais très jeune quand il est entré dans la maison. Manolo avait alors 14 ans. Durant une longue période, je l’ai vu un nombre incalculable de fois dans les grandes salles et les bureaux accueillants de la rue Florida, toujours avenant, serviable, un mot aimable pour chacun et prenant l’initiative.

Si grande était sa discrétion, si subtile sa manière de ne pas s’imposer, que beaucoup ignoraient ses remarquables qualités. Il avait suivi des études à l’Académie Nationale des Beaux-arts et, petit à petit, il est apparu comme un peintre et dessinateur de grande valeur. Il se distinguait surtout comme dessinateur, et dans cette spécialité, comme portraitiste talentueux et de grande pénétration psychologique.

Yglesias a réalisé 18 expositions individuelles dans de nombreuses galeries privées. Il également exposé dans différents salons officiels de Paris et a présenté ses œuvres au Salon National argentin. De multiples œuvres figurent aujourd’hui dans des musées argentins ainsi qu’à la Cour Suprême argentine. Parmi ces expositions, une partie a eu lieu à la galerie Witcomb, dont il était membre mais aussi Directeur général.

Son décès, le 10 août 1969 à Adrogué a eu une grande répercussion sur la maison qui a abrité depuis son enfance ses rêves et progrès. Il y comptait de nombreux amis qui se réunissaient l’après-midi en des débats animés pour évoquer artistes et œuvres. Il donnait des avis simples et justes aussi bien sur les mouvements esthétiques du passé que sur l’actualité artistique de l’époque, étayés par de solides lectures et informations.

Ce n’est pas seulement un témoin mais un acteur d’épisodes mémorables qui a disparu. La culture de Manuel Francisco Yglesias était grande et il la partageait sans compter. Une forme de pudeur, de timidité, inséparable de son être, lui interdisait de s’exprimer avec plus d’emphase mais on sentait sa présence proche, comme un soutien. Celle-ci comme ses compositions était faite de sérénité objective.

Manolo avait préparé l’exposition qui est inaugurée aujourd’hui. Il avait lui-même élaboré son catalogue. La mort l’a surpris alors qu’il dormait. Jusqu’à la fin Yglesias est resté fidèle à sa manière d’être. Il nous a laissé le souvenir de la réserve et la pudeur qui marquaient chacun de ses gestes. Les douloureuses circonstances évoquées transforment son exposition en hommage posthume. La Galerie Witcomb et les personnes appréciant ses innombrables qualités s’associent pour rendre hommage à ce fidèle compagnon.

Manuel Mujica Lainez

 

 

Manuel Mujica Lainez

 


L’Amitié des arbres

Par Alicia Dujovne Ortiz

Traducción

Manuel Francisco Yglesias naquit en 1901 et mourut en 1969. Son temps de vie a donc embrassé celui des mouvements dits d’avant-garde, une appellation quelque peu guerrière qui, nous le savons bien, varie avec les années : l’avant-garde d’aujourd’hui est l’arrière garde de demain. Néanmoins, chaque période croit dur comme fer à la pérennité de sa propre avant-garde, et dans les années soixante nous étions fermement convaincus qu’en dehors de celle qui s’imposait alors, il n’y avait point d’art possible. Je soupçonne que, par arrogance juvénile et influencée par le fondamentalisme régnant, je n’aurais à l’époque que relativement apprécié les nullement avant-gardistes natures mortes, paysages du Riachuelo et excellents portraits réalisés par ce peintre.

En revanche, je suis certaine que, déjà à ce moment-là, les arbres de Manuel Yglesias m’auraient paru dignes d’admiration au sein de cette œuvre si étrangère à tout ce qui se passait alors dans la turbulente Buenos Aires, écartelée – tiraillée entre l’abstraction et, un peu plus tard, la nouvelle figuration, pour ne mentionner que ces deux tendances-tiraillements-là. Après tout, cette jeune femme influençable que, à l’instar de toute jeunesse, j’étais avait su faire preuve de suffisamment d’audace pour défendre l’un de ses artistes préférés, Vlaminck, accusé d’avoir été un homme de droite mais en alléguant que ses arbres étaient les plus flamboyants et ardents de la peinture du vingtième siècle. Bien que les arbres et les paysages du nord andin de Manuel F. Yglesias m’aient été inconnus dans ces années-là, en les découvrant en 2010, j’ai la certitude qu’ils m’auraient touchée, comme aujourd’hui, et pour les mêmes raisons.

Il est des peintures qui sont des rencontres et révèlent des traces de ces rencontres. Dans les paysages de Manuel F. Yglesias, il y a les deux : la compréhension, de la part du peintre, d’une amitié profonde qui unit les différentes créatures du monde, et ce que le tableau a conservé, sur un ton mineur, comme en secret, de ces instants uniques.

Ce qui précède est impossible à définir : cela fait partie de ce que nous avions, dans les années soixante, éliminé de notre lexique : le sentiment. Une émotion indéfinissable bien que perceptible, qui, dans l’œuvre intitulée « Iglesia de Yavi, Jujuy », se dégage, par exemple, d’un fragment de puna [1] , d’un caroubier qui bourgeonne, d’une petite église blanche et d’une menue silhouette vêtue d’un poncho baignant dans une atmosphère émouvante, assoupie et douce, où règne le rose, mais un rose terreux, une humble couleur terracotta, couleur de poteries lentement pétries par des mains ancestrales.

Non plus sous un ciel bleu mais orageux, mi-sombre, mi-radieux, non plus avec un caroubier vert tendre ou vert citron, mais avec des montagnes d’un violet noir au milieu de la solitude et un clocher obscurci, une autre image du nord andin de Manuel F. Yglesias, intitulée « Allá en el Norte », nous transmet cette même émotion : un coin perdu, un de ces hameaux perchés où tout est plombé, lent et comme écrasé par un air d’éternité qui rend le souffle difficile et incite à ralentir le pas.

Le clocher obscurci mérite une attention particulière. C’est un clocher humanisé qui s’enfonce dans les nuages, à la fois fragile et résistant, un clocher plein de patience et de docilité, qui se limite à être lui-même sous son petit chapeau conique, pareil à celui des cholas [2] qui semblent, elles aussi, immobilisées par le poids du temps. Si on se laissait emporter par le romantisme évident de l’image, on dirait que ce clocher a un front « assombri par d’obscurs présages ». Mais il ne s’agit pas du romantisme nord-européen et son élan nostalgique à l’endroit d’époques ou de pays lointains, mais d’un romantisme capable de refléter la persistance, sans prétention ni nostalgie, la sagesse d’être là, simplement, de demeurer : un romantisme de la quiétude.

Ce rose de la terre desséchée et écrasée par le soleil est le personnage central de l’un des plus beaux tableaux de Manuel F. Yglesias, « Calle de Humahuaca », celui qui exprime le mieux le sens de ce que j’ai appelé une rencontre. Une chola s’éloigne avec son enfant, de dos, le long du chemin éclairé d’une vive lumière. Au-dessous des deux silhouettes qui se tiennent par la main, une ombre violette les porte et les maintient ensemble. Cette même ombre se projette sur la façade d’une cahute, s’étire, devient une sorte de langue, également violette, qui traverse le chemin, frôle la mère et l’enfant et serpente vers l’ombre à l’arrière-plan, laquelle se confond avec les arbres pour former un arceau autour d’un fragment de ciel. Le rôle de ces ombres est de relier, ce sont des ombres protectrices qui se répandent, comme rendues fluides, et délimitent des espaces clairs ou plutôt les enchâssent.

Elles ne sont pas les seules à jouer ce rôle : si les ombres enveloppent et entourent le rose du chemin et le bleu du ciel, en les faisant ressortir comme deux pierres précieuses, les arbres de même se donnent la main pour construire un tunnel de lumière. Les deux silhouettes sont ainsi puissamment attirées vers un lieu que les arbres et les ombres rendent magique, désirable. Le lieu d’un rêve, d’une promesse, ourdi pour eux par deux divinités bienveillantes qui se lient d’amitié pour les conduire à bon port.

Sous d’autres cieux, l’amitié des arbres revêt des caractéristiques différentes. « Calle de Atlantida » montre une allée qui débouche sur un autre lointain accueillant, la mer, bordée d’arbres élancés et nerveux, aux troncs rouges, qui, en effet, rappellent Vlaminck et les Fauves, mais avec une particularité : alors que sur la droite de l’image, ils adoptent une torsion qui les fait s’élancer impétueusement vers ceux qui leur font face, ces derniers reculent légèrement, se maintiennent droits et un peu raides, comme les tenant à distance. Ils ne les repoussent pas mais se montrent prudents, en attente, comme des jeunes filles d’autrefois au bal. C’est une œuvre pleine d’espace, de clarté, une œuvre légère qui exprime le bonheur de marcher vers la mer le long d’un chemin bicolore, jaspé, où l’orange évoque les troncs et le bleu clair, l’eau : une autre façon, pareillement amicale, qu’inventent les couleurs pour faire connaissance.

Dans le paysage du Tigre [3] intitulé « Contraluz en el Abra Vieja », plongé dans une brume vert-bleu, comme celle d’un aquarium, avec le petit embarcadère et la large chaloupe (ces authentiques embarcations des insulaires au siège fixe, cloué à sa place, à peine une petite planche pour un rameur pensif, des bateaux – barques pour parcourir les cours d’eau paisiblement- comme au petit trot), les arbres aux troncs épais semblent si imbibés d’eau que leurs formes s’amollissent, languides, rassasiées, paresseuses, paisibles animaux lors d’une sieste estivale, rassemblés, affectueux, se dirigeant tous dans la même direction mais sans hâte, comme certains d’être aimés.

« Rancho [4] isleño » et « Paisaje de Ministro Rivadavia » sont également placés sous le signe de l’arbre. Le premier est mon favori, le second pas encore (sans doute le sera-t-il bientôt). Sur le premier tableau, un rancho au toit de chaume apparaît encadré par un enchevêtrement d’arbres passionnés qui s’entrelâcent comme les vipères au printemps. C’est sans doute la peinture la plus libre de l’ensemble, la plus dégagée et joyeuse, la plus impétueuse avec ses touches de lavande, de lilas et de bleu cobalt jetées vigoureusement parmi les branches, avec ses troncs ardents et dansants, plus fauves que jamais, et ce rancho aux formes fluides rendu à coups de pinceau rapides, d’un seul jet, dans le temps de l’extase qui n’attend pas.

Sur le second, c’est déjà l’hiver. Le rancho est grand, on devine qu’il a abrité une famille aujourd’hui absente, il possède un toit de tuiles et un petit auvent destiné à la sieste. Sauf qu’il n’y a ni sieste ni soleil, mais un ciel bas gris pigeon (on entend quasiment le sanglot de la lugubre colombe qui annonce la pluie), associé à une sensation de fatalité, peut-être juste une averse, peut-être la mort. Bien que derrière la maison surgisse le vert, le héros de l’histoire est un arbre planté sur le devant, qui a perdu ses feuilles. Le tableau tout entier évoque le même abandon, la même absence.

Peinture du sentiment et fière de l’être. J’ai dit au début que Manuel F. Yglesias s’était tenu à l’écart des diverses avant-gardes, toutes liées par ce que Ortega y Gasset a appelé la « déshumanisation de l’art ». Que sa courageuse décision de poursuivre sa voie sans se soucier d’être ou non à la mode fut volontaire me semble évident lorsqu’on connaît son parcours. Il n’est pas resté en retrait de ce qui se passait. Au contraire, son travail à la galerie Witcomb, où son père fut photographe, l’a tenu informé de tout. Manuel F. Yglesias a étudié à l’École nationale des Beaux-Arts, où, pour reprendre les mots du peintre César Ariel Fioravanti, « il acquit une solide formation en dessin et en peinture », comme le montrent son portrait d’un Picasso vieilli, étrangement touchant, et ses délicieux paysages urbains, comme « Esquina del Retiro » avec l’enseigne du vermouth Gancia et les voitures rondouillettes de ce temps-là.

Sur l’une des plus anciennes photographies de l’atelier de Witcomb, on aperçoit un jeune homme de haute stature, sérieux et beau garçon, qui est Manuel Yglesias. Une autre image de 1927 nous montre le peintre aux côtés de son grand ami depuis l’École des Beaux-Arts, Angel Lires Giraldes, avec lequel il partagea, quelques années plus tard et pendant longtemps, la direction de la galerie Witcomb, tous deux présentant leurs œuvres. En 1940, le vernissage de son exposition « Paisajes del Delta » dans cette même galerie nous a laissé un témoignage photographique extraordinaire : le peintre au centre, entouré d’un groupe de dames sérieuses, élégantes, compassées, toutes de noir vêtues, avec chapeau, jupe et chignon (c’étaient le temps où les femmes assistaient à une exposition de peinture strictement mises comme pour se rendre… à l’église).

Yglesias fut l’ami de grands peintres argentins : Quinquela Martín, dont les vues du Riachuelo sont les pendants des siennes, mais aussi Libero Badii, Soldi, Spilimbergo. Il réalisa dix-huit expositions individuelles et participa à tous les salons officiels du pays et au Salón Anual de Buenos Aires. Le musée Eduardo Sivori et les musées de la Boca, Tandil, La Pampa ou Salta, entre autres, possèdent quelques-unes de ses œuvres. Non, ce n’était pas un peintre du dimanche, c’était un artiste conscient et mûr, un homme activement impliqué dans le mouvement artistique de son époque. Se tenir à l’écart des courants et des ismes a plutôt été le fruit de ce que Fioravanti a appelé son « humilité ».

Impliqué et actif, donc, mais avec un fond solitaire et une vive sensibilité que ses arbres, pour peu qu’on les observe attentivement, laissent transparaître. Manuel F. Yglesias fut l’un de ces hommes réfléchis qui choisirent le Delta comme l’on choisit un pays, un homme des îles et des broussailles, de l’eau qui charrie le limon des rives et, avec lui, la vie, un taciturne. Lorsque j’ai demandé à sa fille Cristina comment était Manuel Yglesias, elle m’a répondu : « Réservé. De lui-même, il ne parlait jamais, pas un mot, mais il savait écouter ». Après avoir réfléchi un instant elle a ajouté, visiblement émue : « En 1969, j’ai obtenu une bourse pour aller en France. Nous avons fêté l’événement avec ma mère et des amis, puis mon père est allé se coucher. Il n’était pas malade, il ne souffrait de rien, mais le lendemain matin, il était mort ».

Sa dernière exposition eut lieu cette année-là et fut posthume. Quarante-deux ans après, celle que nous présentons aujourd’hui a été conçue et organisée par une fille qui accomplit un devoir de mémoire. Elle a raison, il est facile d’aimer ce peintre et se sentir son ami, comme si nous bavardions avec lui ou, plutôt, comme s’il nous écoutait, devant une petite église blanche, un clocher obscurci, un chemin rose, un bateau-barque authentique, une ronde d’arbres amoureux, une vieille maison et un arbre du même âge, intimes présences qui, dès lors, nous appartiennent.

Alice Dujovne Ortiz


[1] La puna est la région de la Cordillère des Andes située entre 3 500 et 4 200 mètres d’altitude.

[2] Habitants métissés d’indiens des provinces andines de l’Argentine.

[3] Tigre : delta du fleuve Paraná qui se jette dans le Río de la Plata à 30 km au nord du port de Buenos Aires.

[4] Humble cahute à toit de branchages ou de paille.

 

La amistad de los árboles
Por Alicia Dujovne Ortiz

Manuel Francisco Yglesias nació en Buenos Aires en 1901 y murió en 1969. Esto significa que su tiempo de vida abarcó el de los movimientos llamados de vanguardia, una denominación algo guerrera que, como bien sabemos, cambia con los años : la vanguardia de hoy es la retaguardia de mañana. Sin embargo, cada período cree a pie juntillas en la perennidad de su propia vanguardia, y en los años sesenta estábamos alegremente convencidos de que, fuera de aquella que en ese momento nos tocaba, no había arte posible. Sospecho que por arrogancia juvenil y por contagio del fundamentalismo reinante, en esos años yo habría apreciado relativamente los nada vanguardistas bodegones, las naturalezas muertas, los paisajes del Riachuelo y los excelentes retratos realizados por este pintor.
En cambio estoy segura de que, ya en ese entonces, los árboles de Manuel F. Yglesias me habrían parecido lo más auténticamente rescatable dentro de esta obra tan ajena a todo cuanto sucedía en aquella revoltosa Buenos Aires, tironeada entre la abstracción y, algo más tarde, la nueva figuración, para no mencionar sino dos tironeos. Después de todo, aquella joven influenciable (todo joven lo es) supo tener arrestos suficientes como para defender a uno de sus artistas preferidos, Vlaminck, con el argumento de que sus árboles fueron los más fogosos y fervorosos de la pintura del siglo XX. Aunque no tuve la suerte de ver las arboledas y los paisajes norteños de Manuel F. Yglesias en esos años, al verlos en 2010 tengo la certidumbre de que me habrían conmovido igual que hoy, y por las mismas razones.

Hay pinturas que son encuentros y muestran rastros de esos encuentros. En los paisajes de Manuel F. Yglesias se advierten las dos cosas: la comprensión, por parte del pintor, de una amistad profunda que une a las distintas criaturas del mundo, y lo que el cuadro ha conservado en un tono menor, como en secreto, de esos instantes únicos.
Esto último es imposible de definir : forma parte de aquello que en los sesenta habíamos eliminado de nuestro léxico, el sentimiento. Una emoción indemostrable, aunque perceptible, que en la obra titulada « Iglesia de Yavi, Jujuy” sumerge un pedazo de puna, un algarrobo recién brotado, una iglesita blanca y un pequeño personaje emponchado en una atmósfera entrañable, adormilada y tierna, donde reina el rosa, pero un rosa de tierra, un tranquilo color terracota, color de alfarería amasada despacio por manos viejas.
Ya no bajo un cielo celeste sino tormentoso, entre sombrío y radiante, y ya no con algarrobo verde agua o verde limón, sino con montañas moradas en medio de la soledad y un campanario oscurecido, otra imagen norteña de Manuel F. Yglesias titulada “Allá en el Norte” nos transmite esa misma emoción : un lugar perdido quién sabe adónde, uno de esos pueblitos apunados donde todo es plomizo, lento y como aplastado por un aire de eternidad que dificulta la respiración e induce a aminorar el paso.

El campanario oscurecido merece un párrafo aparte. Es un campanario humanizado que se hunde en las nubes, a la vez frágil y resistente, un campanario lleno de paciencia y mansedumbre, que se limita a ser él mismo bajo su sombrerito cónico, idéntico al de las cholas que también parecen inmovilizadas por el peso del tiempo. Si nos dejáramos llevar por el romanticismo evidente de la imagen, diríamos que ese campanario tiene una frente « nublada por oscuros presagios ». Pero no se trata del romanticismo del Norte europeo con su nostálgico impulso hacia países o épocas míticos y lejanos, sino de un romanticismo capaz de reflejar la simple persistencia, el no aspirar a nada ni añorar nada, el saber estar sencillamente ahí, el saber quedarse; un romanticismo de la quietud.

Ese rosa de la tierra seca y asoleada es el protagonista absoluto de uno de los mejores cuadros de Manuel F. Yglesias, « Calle de Humahuaca », y el que mejor revela el sentido de lo que he llamado encuentro. Una chola se aleja con su hijito, de espaldas, por la parte del camino brillantemente iluminada. Debajo de las dos figuritas agarradas de la mano hay una breve sombra violeta que las sostiene y las mantiene juntas. La misma sombra cubre la fachada de un rancho, se aplasta, se convierte en una suerte de lengua también violeta que atraviesa el camino, pasa junto a la madre y al niño y repta hacia la sombra del fondo, la cual se une a los árboles para formar un arco alrededor de un pedazo de cielo. El papel de esas sombras es unir, son sombras protectoras que fluyen como derretidas y delimitan espacios claros o, mas bien, los engarzan.

No son las únicas que representan ese papel : si las sombras envuelven y circundan el rosa del camino y el azul del cielo, haciéndolos resaltar como dos piedras preciosas, también los árboles se dan la mano para construir un túnel de luz. Las dos figuritas avanzan así hacia un lugar fuertemente atractivo al que los árboles y las sombras vuelven maravilloso, deseable. El lugar de un sueño, de una promesa, tramado para ellos por dos deidades benevolentes que entablan amistad para conducirlos a buen fin.

En otras latitudes, la amistad de los árboles tiene características distintas. “Calle de Atlandida” muestra una alameda que desemboca en otra lejanía dichosa, la del mar, rodeada de árboles delgados y nerviosos, con troncos rojos, que efectivamente recuerdan a Vlaminck y a los fauves, pero con una particularidad: mientras los de la derecha adoptan una torsión que les sirve de impulso para lanzarse con ganas en pos de los de enfrente, éstos retroceden un poco, se mantienen rectos y algo tiesos, como poniendo distancia. No los rechazan pero se muestran prudentes y a la espera, como muchachas en un baile. Es una obra llena de espacio, de claridad, una obra ligera que expresa la felicidad de ir andando hacia el mar por un camino bicolor, jaspeado, donde el naranja alude a los troncos y el celeste, al agua : otros modos, igualmente amigables, que inventan los colores para trabar relación.

Con respecto al paisaje del Tigre titulado “Contraluz en el Abra Vieja”, sumido en una bruma verdeazul, como de acuario, con el pequeño embarcadero y el botecito ancho (esos auténticos botes de los isleños con el asiento quieto, clavado en su sitio, apenas una tablita para un remero pensativo, botes para recorrer los arroyos al tranquito), aquí los árboles de troncos gruesos lucen tan llenos de agua, tan embebidos, que sus formas se ablandan, lánguidas, saciadas, perezosas, animales apacibles en una siesta de verano, juntos, afectuosos y yendo todos hacia un mismo sitio, pero sin muchas ansias, como gozando de un amor seguro.
« Rancho isleño” y “Paisaje de Ministro Rivadavia” están colocados asimismo bajo el signo del árbol. El primero es mi favorito, el segundo no todavía (sin duda lo será dentro de poco). En el primero, un rancho con techo de paja aparece enmarcado por un entrecruzamiento de árboles apasionados que se anudan como las víboras en primavera

Es quizás la pintura más libre del conjunto, la más suelta y gozosa, la más impetuosa con sus toques de lavanda, lila y azul cobalto sembrados con vigor entre las ramas, sus troncos ardientes y bailarines, mas fauvistas que nunca, y ese rancho de formas fluidas hecho de a pinceladas rápidas, de un solo impulso, en el tiempo del éxtasis que no espera.

En el segundo ya es el invierno. El rancho es grande, se nota que ha abrigado a una familia hoy desaparecida, tiene techo de tejas y un alerito para pasar la siesta. Pero no hay siesta ni sol, hay un cielo nublado color torcaza (casi se oye el gemido de la palomita lúgubre que anuncia lluvia), unido a una sensación de cosa inevitable, quizás sencillamente un chaparrón, quizás la muerte. Aunque por detrás de la casa se asoma el verde, el héroe de la historia es el árbol plantado por delante, que ha perdido sus hojas. Todo el cuadro expresa la misma pérdida, la misma ausencia.

Pintura del sentimiento, sí, y a mucha honra. Dije al comienzo de estas líneas que Manuel F. Yglesias se mantuvo ajeno a las diversas vanguardias, todas ellas aunadas por lo que Ortega y Gasset llamó « deshumanización del arte ». Que su corajuda decisión de proseguir con lo suyo, sin preocuparse por si estaba de moda o no, ha sido voluntaria, me resulta evidente al conocer su trayectoria. No estuvo al margen de lo que sucedía. Al contrario, su labor en la galería Witcomb, donde su padre fue fotógrafo, lo puso al tanto de todo. Manuel F. Yglesias estudió en la Academia Nacional de Bellas Artes y allí, para decirlo con palabras del artista César Ariel Fioravanti, « formó su sólida profesionalidad en el dibujo y la pintura », tal como lo revelan su retrato de un Picasso envejecido, extrañamente enternecedor, y sus deliciosos paisajes urbanos como “Esquina del Retiro” con el cartel del vermouth Gancia y los autos redonditos y ñatos del tiempo aquel.

En una de las más viejas fotografías del taller de Witcomb aparece un muchacho alto, serio y buen mozo que es Manuel Yglesias. Otra imagen de 1927 nos muestra al pintor junto a su gran amigo desde la Academia de Bellas Artes, Angel Lires Giradles, con el que que dirigio conjuntamente la Galeria Witcomb anos después y por mucho tiempo, ambos presentando sus obras. En 1940, la inauguración de su exposición « Paisajes del Delta » en esa misma galería nos ha dejado una huella fotográfica extraordinaria: el pintor en el medio, rodeado por un conjunto de damas serias, elegantes, compuestas, todas de negro, con sombrero, de falda y de rodete (eran los años en que las mujeres asistían a una muestra de pintura severamente ataviadas como para ir a…la iglesia).

Yglesias fue amigo de grandes pintores de la Argentina: Quinquela Martín, cuyos Riachuelos son gemelos de los suyos, pero también Libero Badii, Soldi, Spilimbergo.

Realizó dieciocho exposiciones individuales y participó en todos los salones oficiales del país y en el Salón Anual de Buenos Aires. El museo Eduardo Sivori y los museos de la Boca, Tandil, La Pampa o Salta, entre otros, poseen algunas de sus obras. No, no era un pintor de los domingos, era un artista consciente y maduro, un hombre activamente implicado en el movimiento artístico de su época. Mantenerse al costado de las corrientes y de los ismos más bien tuvo que ver con lo que el mismo Fioravanti llamó su « humildad ».

Implicado y activo, pues, pero con un fondo solitario y una agudísima sensibilidad que sus árboles, por poco que los observemos con cierta atención, dejan transparentar, Manuel F.Yglesias fue uno de esos hombres reflexivos que eligieron el Delta como un país, un hombre de la isla y la maleza, del agua que se lleva el barro de las costas y, con él, la vida, un silencioso. Cuando le pregunté a su hija Maria Cristina cómo era Manuel Yglesias, me contestó: « Reservado. De sí mismo no hablaba nunca, ni una palabra, pero sabía escuchar ». Pensó un poquito y agregó con visible esfuerzo: « En 1969 me saqué una beca para venir a Francia. Festejamos junto con mi madre y amigos y después mi padre se fue a dormir. No padecía de ninguna enfermedad, no sufría de nada, pero a la mañana siguiente estaba muerto ».

Su última exposición se realizó ese mismo año y fue póstuma. Cuarenta y dos años después, esta que ahora presentamos ha sido pensada y organizada por una hija que cumple con el deber de recordar. Hace bien, es fácil querer a este pintor y sentirlo amigo, como si conversáramos con él o, más bien, como si él nos escuchara, mirando una iglesita blanca, un campanario oscurecido, un camino rosa, un bote verdadero, un baile de árboles enamorados, una casona vieja y un árbol de la misma edad, íntimas presencias que a partir de ahora se vuelven nuestras.

 

Alicia Dujovne Ortiz

 


Manuel F. Yglesias

Par César Ariel Fioravanti

Traducción
 

Né à l’aube du siècle dernier, initié très tôt à l’art par son père, photographe à la Galerie Witcomb, il fit ses études à l’École nationale des Beaux-Arts de Buenos Aires où il acquit une solide formation en dessin et en peinture.

De ces qualités témoignent ses fidèles portraits au fusain et au pastel dans lesquels il a su rendre de son modèle occasionnel non seulement les traits et les caractéristiques anthropomorphiques, mais aussi l’expression du regard, le rictus des lèvres, le tracé distinctif du nez et les cheveux comme cadre de cette identité qui l’inspirait.

Les portraits reflètent individuellement les particularités du personnage et il traite chacun d’eux avec la technique appropriée afin de lui apporter la touche personnelle qui le caractérise, révélant son âme et son esprit.

Cela n’est possible que grâce à une longue accumulation d’expériences dans la recherche de la caractérologie appliquée aux arts plastiques.

Outre cette maîtrise dans l’étude et la pratique quasi scientifique, il a su faire preuve d’une totale liberté et d’une grande fraîcheur dans la composition de ses émouvants et sensibles paysages de notre pays, qu’il a parcouru dans toute son étendue. Les touches fluides, rapides, chargées de matière, représentent aussi bien une petite église dans un coin perdu à Córdoba1 qu’un paysage désertique de Patagonie, un bois touffu du Delta, un long chemin à Jujuy2 ou un port débordant d’activité sur notre Riachuelo3 d’autrefois.

Ses ciels, d’un bleu clair transparent comme fond d’une montagne à Salta4 ou d’un gris plombé pour les ondulations de Tandil,5 se couvrent de gros nuages orageux sur la plaine de la pampa pour rendre fidèlement l’atmosphère de chaque situation. Cet artiste, qui n’a sans doute pas été reconnu à sa juste valeur par les gourous de la critique, réunit en lui la sensibilité d’un peintre humaniste et la technique d’un professionnel hautement expérimenté.

Ajoutons à cela que cette expérience lui a permis de s’essayer à l’abstraction lyrique usant du même coup de pinceau libre et spontané avec lequel il a réalisé ses innombrables paysages.

Ce tour d’horizon de l’œuvre d’Yglesias n’est qu’une brève description de ses cinquante années de travail exécuté avec la passion et l’humilité d’un être chaleureux, affable et apprécié de tous ceux qui le fréquentèrent et furent ses amis.

1 Province du centre de l’Argentine, aux plateaux montagneux.
2 Province du nord andin de l’Argentine
3 Fleuve séparant la capitale argentine Buenos Aires du reste de la province du même nom.
4 Province au nord-ouest de l’Argentine, adossée à la cordillère des Andes.
5 Localité de la province de Buenos Aires, au relief vallonné.

 

Por César Ariel Fioravanti

Nacido en el primer año del siglo pasado, iniciado tempranamente en el arte por su padre, fotógrafo de la Galería Witcomb; estudió en la Academia Nacional de Bellas Artes donde formó su sólida profesionalidad en el dibujo y en la pintura.

Son demostrativos de estas cualidades sus fieles retratos al carbón y pastel en los que supo arrancar de su ocasional modelo no solo las facciones y características antropomorfas, sino la expresión en su mirada, el rictus de sus labios, la identificación distintiva de su nariz y el cabello como marco de esa identidad que le inspiraba.

Los retratos reflejan individualmente las características del personaje y cada uno de ellos lo realiza con la técnica apropiada para darle el toque personal que lo caracteriza, traduciendo su alma y espíritu.

Esto sólo se puede lograr teniendo como respaldo un cúmulo de experiencias en la investigación de la caracterología aplicada a las artes plásticas.

Además de esta maestría lograda en el estudio y la práctica casi científica, supo obrar con total libertad y frescura en la composicion de sus cálidos y sensibles paisajes de nuestro país, que recorrió en todas sus dimensiones. Las pinceladas sueltas, ágiles, de fuerte empaste, caracterizan tanto una capillita perdida en un enclave cordobés, como un yelmo paisaje patagónico, un enmarañado bosque del Delta, un largo caminito jujeño o un trajinado puerto de nuestro antepasado Riachuelo.

Sus cielos, desde un transparente celeste como fondo de una montaña salteña pasando por un plomizo en ondulaciones tandilenses llega a borrascosos nubarrones en la llanura pampeana para plasmar con riguroso análisis un ámbito para cada situación. En este artista, tal vez no reconocido merecidamente por los popes de la crítica, se conjuga la calidez de un pintor humanístico con la capacidad técnica de un experimentado profesional de larga data.
A todo esto hay que sumar que este respaldo también le sirvio para incursionar en la abstracción sensible con la misma pincelada libre y espontánea con la que realizó los innumerables paisajes.
Este recorrido de la obra de Yglesias no es más que una reducida descripción de sus cincuenta años de labor realizada con toda pasión y con la humildad de un ser humano cordial, afable y apreciado por todos lo que lo trataron y fueron sus amigos.